Kévin Cadinot,
Distance et domination
Par Maxence Alcalde
D’un point de vue purement formel, le travail de Kévin Cadinot est extrêmement simple : il s’agit d’agencements de matériaux qu’on peut trouver dans n’importe quel magasin de bricolage. La difficulté de l’entreprise surgit dès lors qu’on décide d’en apprendre plus, de fouiller ces matériaux.
Il est probable que Kévin Cadinot soit un spécimen rare d’artiste postmarxiste ou plus exactement post-historique dans le sens où le philosophe du Capital le décrivait. Pour Marx, le capitalisme finirait par s’effondrer et verrait naître une société idéale, d’après la fin de l’histoire, dans laquelle les individus seraient dans une même journée maçon, cultivateur et artiste. Le postmarxisme singulier (mais peut-il exister autre chose que des postmarxismes singuliers !) de Cadinot consiste à revêtir au même moment l’ensemble de ces habits. Chacun de ses gestes s’envisage comme celui d’un artiste dans sa projection, comme celui d’un ouvrier dans sa réalisation et comme celui d’un architecte dans sa contextualisation. Ce schéma fonctionne pour l’ensemble des pièces qui interrogent leurs conditions d’apparition, mais aussi celles de leur réception dans l’espace toujours spécifique de leur présentation. Car, dans son atelier, Cadinot teste des tricks, des coups et des astuces qu’il place avec dextérité lorsqu’il investit un lieu.
Il ne faudrait pas en conclure que les pièces de Cadinot se limitent à un accompagnement spatial ou à un désormais classique travail sur l’in-situ. Chez lui, s’exprime toujours une tension sourde — parfois ironique. Avec Master, il fixe une série de plaques de BA13 entre elles à l’aide d’un cadenas. Les plaques sont découpées de manière à ce qu’apparaisse une sorte d’escalier sur leur tranche formant également un dégradé de couleur du blanc vers le noir. Ce n’est qu’en s’approchant de la pièce qu’on découvre l’inscription sur le cadenas : « Master ». Dès lors, la gnose se met en branle et s’entrechoquent récits au sujet des rapports de domination, celui d’un maître unique et omniscient qui lie des individus entre eux ; celui des rapports hiérarchiques confortés par la posture surplombante de la domination. Le pouvoir mis en scène par l’artiste évoque une société apparemment égalitaire représentée par un escalier posé sur sa tranche comme pour annuler les rapports hiérarchiques : sur quelque marche que vous soyez, vous êtes sur la même ligne horizontale que tout le monde. Ce qui est particulièrement pervers est que cette « société cool », où chacun est au même niveau que tous, est balayée par le cadenas qui fait tenir les plaques entre elles. Le lien — c’est-à-dire ce qui fait l’essence même d’une communauté, ce qui fait son terreau — contient en lui son discours contradictoire, voire sa pulsion de mort. Cette interprétation révèle elle-même un nouveau sous-texte : s’agit-il du maître dans la pure tradition des théories de la domination imposant son pouvoir biopolitique, cher à Michel Foucault ? Ou encore, s’agit-il d’une domination consentie, domestiquée et codifiée telle qu’on la retrouve dans les jeux érotiques sado-maso ? Ici, rien n’est arrêté, indécision de façade qui pousse à s’interroger sur les liens qui unissent la domination biopolitique et la domination domestique. Les figures dialectiques archétypales renvoient à l’appréhension d’un entre-deux de l’espace public de la contrainte subie et celui de la contrainte chérie de l’espace privé.
Impossible de savoir si chez Kévin Cadinot la contrainte des corps s’opère sur celle des matériaux ou l’inverse. Certaines œuvres paraissent totalement autonomes et auto génératives, comme si leur réalisation se résumait à la sollicitation induite par leur mode d’emploi de produit manufacturé. Avec Règle, l’artiste décide de suivre à la lettre le mode d’emploi d’une bombe de peinture aérosol, ce dernier précisant la distance entre la bombe et le support. Cadinot se concentre sur cette « bonne distance » et vide la bombe de peinture contre un mur. Le résultat est une trace de peinture qui coule le long de la paroi, geste renonçant à toute maîtrise technique, tout savoir-faire, mais aussi tout libre arbitre. L’aliénation n’est plus engendrée par le travail, mais par le mode d’emploi et l’observation stricte de ce dernier. Et c’est précisément en ce sens que Règle est kafkaïenne. Ce que l’artiste met en scène est alors le genre de situation absurde dans laquelle s’abandonne tout individu qui abdique son sens critique pour consacrer toute son énergie à des tentatives d’application de directives.
Avec la série (Re)diffusion, Kevin Cadinot propose un dispositif où il accepte d’oblitérer une part de la maîtrise de son geste. Des bombes aérosols sont disposées sur une toile posée horizontalement. Leur disposition répond à un rythme géométrique et chaque bombe est de couleur différente. L’artiste bloque la buse de chacune d’elles et laisse le ballet des fumées colorées s’organiser. Le résultat ne sera que la forme morte du processus, une trace colorée renvoyant à une expérience picturale mécanisée où les couleurs se recouvrent selon leurs caractéristiques chromatiques et la puissance de leur éjection de la bombe.
Lorsqu’à la fin des années 1960, on demandait au land-artiste Michael Heizer de définir son travail, il affirmait qu’il était « entrepreneur de travaux publics ». Ce qui pouvait apparaître — à juste titre — comme la réponse ironique d’un mauvais garçon, en dit naturellement bien plus sur l’artiste qu’il y paraît. À cette époque, Heizer est fasciné par les matériaux et la manière dont il peut les manipuler sur des surfaces dépassant l’échelle humaine. C’est probablement cette même fascination — celle pour les matériaux — qu’on retrouve chez Kevin Cadinot à la nuance près qu’il préfère les plaisirs d’une négociation infinie avec leurs caractéristiques matérielles au gigantisme mégalomane de l’artiste américain.
Kévin Cadinot, dans l’inachèvement la forme
Par Thomas Fort
Accepter l’inachèvement et se permettre l’erreur, tels pourraient être les mots d’ordre qui conduisent la pratique de Kévin Cadinot. Jeune artiste plasticien français, tout juste sorti des beaux-arts du Havre, on a pu notamment voir son travail lors de la dernière édition du Salon Jeune Création. Lors de celle-ci, il présentait habilement une peinture déstructurée dans l’espace : un coup de sray dégoulinant sur le mur, une structure métallique décalée, des plaques empilées. La peinture se jouait alors dans ce à quoi elle échappait. Elle était éclatée, convulsée presque, renversée pour mieux être interrogée. L’artiste réinterprétait ainsi les principes de la peinture, le rapport à la surface et au support, le jeu de contrastes entre obscurité et lumière, la transition des formes, le jeu de transparence et d’effets de calque par exemple. Dans ce cas, une règle en plastique était enfoncée dans le mur et d’elle semblait s’échapper sur la cimaise un petit nuage de peinture noire. Décollée du mur, d’un mètre environ quatre plaques métalliques perforées servait de paroi et devenait presque un pan de la peinture même, dont la composition serait pensée dans l’espace tridimensionnel du lieu d’exposition. Sur la gauche un empilement vertical de plaques de placo renforçait l’idée de la stratification en seuils picturaux.
Par cette installation Kévin Cadinot, avec un accrochage précis, mettait en regard la pratique pictural avec son usage dans le monde actuel. Un monde vu sous l’angle des techniques industrielles, un monde où l’on préfère subitement la bombe de peinture au tube d’huile, le métal à la toile de lin. Il s’agit d’un monde où l’on peut peindre en suivant une simple notice. L’artiste y applique ce concept en mesurant la distance indiquée par la marque de la bombe de peinture, en appuyant sur le bouton jusqu’à ce que la pression soit nulle et que la peinture dégouline. La peinture devient un acte de raison ayant abandonné sa spontanéité, un acte normé sans qu’il ne soit vraiment maîtrisé par la main de l’homme. La peinture se retrouve constamment dans la démarche de l’artiste. Elle se concrétise en oubliant la toile, et en préférant se déployer sur des matériaux de chantier par exemple. Ainsi, déroulant des membranes de peinture colorées (Cliché, 2011), suspendues au plafond, ou installant une plaque de plexi (Peau d’escalier, 2013) sur laquelle repose des calques géométriques dans l’évocation du fameux escalier duchampien, pour l’artiste, tout devient prétexte à faire acte de peinture. Cette dernière se concrétise donc dans des matériaux abscons, des produits industriels le plus souvent utilisés dans le bâtiment.
L’artiste a l’habitude de travailler à partir de matériaux de récupération, trouvés sur des chantiers de construction ou de rénovation par exemple. De cette économie de moyen, il pense des installations et des structures qui le plus souvent résonnent d’une sobriété poétique. Il détourne ces matières brutes, les enserre dans des cadres, les perfore de tiges métalliques ou les dispose sur des socles presque pour les anoblir, les adoucir, leur conférant le statut d’œuvres. Les plaques de BA13 se font alors moucharabié avec Placo CMJ perforés, 2014, ou socle pour un tube de papier découpé de façon minimale avec Papier machine, 2014. De temps en temps, les structures tendent à se rapprocher de formes modulaires pouvant évoquer des meubles comme avec Placo RYGBGrey pliés, 2014. Cependant cette évocation reste latente, car nulle fonction ne vient animer ces sculptures qui restent bien ancrées dans le champ des arts plastiques.
Il y a naturellement un écho avec le minimalisme américain et une certaine pureté de la forme, mais aussi un jeu sur les matières brutes, dont il expérimente les possibles. Par exemple ses installations Camouflage et Forme, contre forme 2013 se construisent dans une référence assumée à Robert Morris. Ce lâcher-prise de la matière, ce décalage est ce qui finalement perdure dans son œuvre, car la sculpture se camoufle, la peinture est éclatée et en volume, elle peut même se faire une peau enroulée et déroulée, s’exposant presque comme une image en train de se révéler. Tout se produit donc dans une certaine forme de non-conformisme et d’écart face aux usages. Kevin Cadinot recherche ainsi l’erreur, ce qui dénote pour mieux le replacer dans un contexte artistique où domine encore une noblesse des matériaux. Si les matériaux nobles sont abandonnés au profit de matériaux communs, dont tout le monde peut faire usage, c’est souvent dans l’objectif de produire des œuvres monumentales ou provocantes. Le jeune artiste cherche, lui, à faire autrement, à disposer simplement les objets et les matières pour créer des dialogues et produire des formes qui semblent parfois s’autogénérer.
Si les œuvres de l’artiste montrent de belles finitions, il nous laisse dans une certaine forme d’expectative. Les rouleaux de peau de peinture acrylique de la série Cliché pourraient ainsi être déroulés et déroulés encore. Les coups de spray pourraient dégouliner de plus en plus. Les plaques de placo pourraient s’empiler à n’en plus finir. Kevin Cadinot pourtant stoppe, contraint presque ses objets à l’attente, celle d’un inachèvement ininterrompu. Il offre au spectateur une œuvre produite par un écart, un pas de côté qui laisse un vide non comblé, un vide désignant finalement la place laissée à la dérive de notre imaginaire.
Texte de Thomas Fort
Le Bourdon – actualités de l’art contemporain
www.arpla.fr, publié le 16/04/2015
Tu fais quoi comme art ?
Par Sébastien Montero
1. Tu fais quoi comme art ?
Au concours du travail (ne parlons pas déjà du travail bien fait), comment savoir, des artistes-peintres, des artistes-sculpteurs (ou des artistes-sculpteurs-installateurs) ou des artistes-vidéastes ou encore des artistes-artistes, qui travaillent le plus ou fabriquent le plus ? En déplaçant la fabrique vers une esthétique, une manière de faire et non plus un rendement, on peut penser que certains artistes fabriquent plus que d’autres. Et peut-être parce qu’on se demande davantage à leur sujet, ce qu’ils fabriquent – dans ce domaine des formes qui ne sont pas si simples à répertorier – et parce qu’ils s’expriment selon des formes qui empruntent dans leur opération et leur matériaux à la fabrique, à la fabrication. La fabrique n’est pas l’atelier, dans lequel on produit des objets, des pièces finies, ni le chantier où l’on construit des structures immobiles (au chantier naval, quand l’objet du chantier est prêt à voguer, il le quitte). À la fabrique, on fabrique des matériaux pour les ateliers et pour les chantiers, c’est comme une usine, en plus sympa, en moins usant. Il y a brique dedans : ça sent la terre, le four, la chaleur rustique du 19e…
Pour qui préfère l’art du contournement 1, à la question problématique Et tu fais quoi comme art ?, Qu’est-ce que tu fabriques ? pourrait peut-être simplifier l’échange. Tous les artistes fabriquent, même ceux qui ne font pas grand chose, la question qu’est-ce que tu fabriques ? pouvant s’étendre jusqu’à celui dont on sait qu’il ne fait rien ou se fait attendre, pour le prier de s’y mettre. Pourtant, plutôt productif, le statut de fabricant pourrait davantage convenir à la pratique de Kévin Cadinot. S’il y a chez l’artiste une apparence des objets, c’est très rapidement qu’ils se faufilent dans l’équivoque. On pense reconnaître une provenance, mais non ça ne colle pas : presque un escalier, plutôt une table, on dirait un rideau ou un tapi (ou un manteau de sculpture), une cabine de douche ou d’essayage (un paravent ?), des membres ou des membranes – chaque volume ne sortant jamais sans son équivalence en couche.
1 Ce qui est parfois le cas de Kévin Cadinot
Chronologiquement ces couches sont plutôt premières comme les films de peintures support d’elles-mêmes, avec lesquels Kévin Cadinot prit ses premières distances avec le mur. Des peintures bleues, uniquement en peinture (sans toile, ni châssis), selon le patron du bleu de travail : la fabrique en abyme. Plus récemment couche de lumière sur écran. Dernièrement combat vaporeux de peinture aérosol, bombe contre bombe, couleurs face à face. Le néon faisant souvent son apparition comme le relai codé entre lumière-couche et objet-fabrique, à la manière d’une balise privée. Entre ces passages, d’une forme à l’autre, l’artiste parle de filtre.
2. Qu’est-ce tu racontes ?
Cependant, au fil de cette liste d’éléments qui nous déclinons, ne nous voilà jamais que dans les joyeux rayons de distribution des compétences du travailleur au noir surdoué, sillonnant sans relâche son équivalence dans les grandes surfaces du bricolage sur-qualifié. Une économie de snipeur (tout atteindre sans bouger), à même de nous téléporter de Brico-dépôt (question de budget) à Leroy-Merlin (affaire de standing) : est-ce qu’une esthétique peut supporter d’avoir pour socle les matériaux auxquels elle renvoie et pour geste l’autobiographie d’une nécessité qu’on caresse en disant qu’elle nous oblige ? Autrement dit : l’exclusif Moi, j’travaille vs le bon vieux Le travail, c’est la santé, en bois brut sur alu brossé.
Il nous faut alors aussi dégainer la boîte à outils : Un ouvrier qui fait de l’art est-il un ouvrier émancipé ? Déjà un ouvrier qui ne fait pas d’art peut-être un ouvrier émancipé – suffit qu’il ne se plie à aucun autre rythme que le sien, qu’il joue avec son temps redevenu propre, ou qu’il formule, transforme, exprime, au moins autant qu’on ne l’exploite, voire plus. Le temps de Kévin Cadinot se divise donc en temps de travail et temps de l’art mais dans une superposition : sorte de perruque où ce qui est produit et montré pour l’art n’est pas forcément fabriqué sur le temps de « travail » mais certainement pensé, conçu sur ce que ce temps laisse de disponibilité cérébrale pour penser à autre chose qu’à la nécessité qui nous oblige : à la caresse d’autres formes par exemple (pour ne pas lâcher cette double figures hystérique d’un amour contraignant). 2
2 Précisons qu’à ce moment le parcours qui compose le statut de Kévin Cadinot importe : avant d’intégrer l’école d’art en tant qu’étudiant, il était routier, puis routier suivant les cours du soir à l’école d’art puis routier au cours du soir tentant le concours d’entrée. Il lui fallu prati- quement les cinq années d’étude pour reprendre dans son travail des formes du « monde du travail » justement – plutôt celles du chantier que du transport (difficile de trouver les formes, du moins les matériaux d‘un travail qui consiste à rester assis sur de très longues distances pour investir toute son énergie à ne pas s’endormir pour assurer le déplacement des quantités de ma- tériau plutôt que d’avoir à travailler leur qualité), et d’ailleurs se libérer avec elles du travail en atelier (celui où en portant une blouse avec des taches de couleurs on est encore et toujours au travail même quand on prend un café ou parcourons un couloir… le blouse maculée est une des plus belles conquêtes de l’être humain).
Nous parlions d’outils. Dans le matériau de l’observation des travailleurs émancipés, voire aristocrates ouvriers, on peut penser que Rancière n’est pas juste l’outil le plus disponible mais certainement un des plus fiables : mais disons simplement qu’il nous intéresse. Dans sa Nuit des prolétaires, il s’agit justement de montrer, archives à l’appui, qu’au lieu de dormir du sommeil du juste, certains ouvriers auraient trouvé plus pertinent de profiter de leur nuit pour faire ce qu’on ne leur demandait pas. Après le travail, ils produisent des formes, souvent écrites, sur le modèle de la langue de l’autre (se réinventer dans la langue de l’autre), du roman bourgeois par exemple. Le temps repris n’est pas celui d’une forme du même, mais de sa déviation, voire de son retournement. Il y avait donc dans ce geste une double négation de sa condition du jour : ne pas considérer la fatigue du travail, soit nier être ce corps assujetti, et saisir la nuit comme le vrai temps du travail de soi en produisant des formes en contradiction avec celles de la journée : geste doublement politique donc. Kevin Cadinot travaille de nuit bien souvent, parfois parce que les journées sont pleines du chantier en cours ou juste parce que c’est la nuit qu’on pense toujours mieux reprendre un temps qui paraît moins personnel, moins « possible », le jour pour cause de quotidienneté – mais l’identification avec ce que Rancière avance pourrait s’arrêter là : il n’est pas complètement sûr que Kevin Cadinot abandonne les matériaux d’une classe pour ceux d’une autre, mais plutôt qu’il transporte et transpose l’histoire matérielle d’une classe dans et sur le territoire d’une autre.
Alors prenons un autre outil, la caisse en est pleine et s’ils ne se battent pas pour servir il faut reconnaître qu’ils sont bien pratiques : la réverbération pour Barthes, c’est un coiffeur qui va chez le coiffeur. Le coiffeur peut avoir des cheveux mais ne pas penser qu’il lui revient de les entretenir – il se peut même qu’ainsi il continue mine de rien le travail : observant dans l’effet du miroir le retournement d’un geste qui pouvait lui manquer. C’est peut-être cette réverbération qui pourrait nous offrir le complément manquant chez Rancière pour retrouver un modèle possible de Cadinot le temps d’une petite coupe, ce qui n’est pas le dernier geste de l’artiste ou plutôt si : ses deux dernières pièces, vraiment réussies dans leur genre, soit celui d’un traitement plastique des matériaux de construction 3 sont uniquement des déclinaisons de manières de coupe possibles 4. Et si nous reprenons les pièces précédentes, une grande majorité de leur forme passe par un ou des gestes de coupe : la coupe autre du même (matériau), parfois la chute, le rebus, soit la contre- forme… dans ces retours, nous pouvons sans doute retrouver l’envers du travail qui nous manquait. Si l’art n’est pas le travail (ni les vacances), ce qui arrive à l’art par Kévin Cadinot, c’est ce que le travail n’a pas eu. Alors cette réverbération chez Barthes, n’est pas celle du même, mais son négatif : au moment où un coiffeur devient son propre client, il rentre dans sa nuit, même à coup de ciseaux.
3 Comme Mathieu Mercier a pu nous en donner de nombreux exemples à l’époque de sa ducham- pinisation, avec sans doute une relation plus gratuite au travail, plus loin des sensations de chantier, plus domestique.
4 Nous apprenons en dernière minute que la mère de l’artiste est coiffeuse. Aussi qu’il a été compagnon avant d’être routier : tout deviendrait alors tellement (généa-)logique ?
3. Coiffeur du bâtiment
Kévin Cadinot passe du chantier au salon. Si rendre visible est le déplacement imperceptible d’un espace à un autre (si l’on s’accorde sur une équivalence de l’art en tant que ce qui rend visible), c’est entre le monde du travail et l‘espace de l’art que cela se passe pour l’artiste, selon une imperceptibilité d’un partage de matériau qui aimerait passer pour un échange : si les matériaux sont les mêmes, c’est dans la division imposée par les formes, celles du travail et celles de l’art. Ce n’est pas la même chose qui passe d’un espace à l’autre. Le filtre, figure chère à l’artiste, est formel pas matériel. Ce n’est pas matériellement qu’on s’émancipe, c’est formellement. Voilà ce que nous apprend la coupe Cadinot.